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Pouillyland
10 février 2009

Justine - Extrait

« Les premiers hommes, effrayés des phénomènes qui les frappèrent,
durent croire nécessairement qu'un être sublime et inconnu d'eux en avait dirigé la marche et l'influence.
Le propre de la faiblesse est de supposer ou de craindre la force ;
l'esprit de l'homme, encore trop dans l'enfance pour rechercher,
pour trouver dans le sein de la nature les lois du mouvement, seul ressort de tout le mécanisme dont il s'étonnait,
crut plus simple de supposer un moteur à cette nature que de la voir motrice elle-même,
et sans réfléchir qu'il aurait encore plus de peine à édifier, à définir ce maître gigantesque,
qu'à trouver dans l'étude de la nature la cause de ce qui le surprenait, il admit ce souverain être,
il lui érigea des cultes. De ce moment, chaque nation s'en composa d'analogues à ses mœurs, à ses connaissances et à son climat ; il y eut bientôt sur la terre autant de religions que de peuples,
bientôt autant de dieux que de familles ; sous toutes ces idoles néanmoins, il était facile de reconnaître ce fantôme absurde, premier fruit de l'aveuglement humain.
On l'habillait différemment, mais c'était toujours la même chose.
Or, dites-le, Thérèse, de ce que des imbéciles déraisonnent sur l'érection d'une indigne chimère et sur la façon de la servir, faut-il qu'il s'ensuive que l'homme sage doive renoncer au bonheur certain et présent de sa vie ?
Doit-il, comme le chien d'Ésope, quitter l'os pour l'ombre, et renoncer à ses jouissances réelles pour des illusions ?
Non, Thérèse, non, il n'est point de Dieu : la nature se suffit à elle-même ;
elle n'a nullement besoin d'un auteur ; cet auteur supposé n'est qu'une décomposition de ses propres forces, n'est que ce que nous appelons dans l'école une pétition de principes.
Un Dieu suppose une création, c'est-à-dire un instant où il n'y eut rien, ou bien un instant où tout fut dans le chaos.
Si l'un ou l'autre de ces états était un mal, pourquoi votre Dieu le laissait-il subsister ?
Était-il un bien, pourquoi le change-t-il ? Mais si tout est bien maintenant, votre Dieu n'a plus rien à faire : or, s'il est inutile, peut-il être puissant ? et s'il n'est pas puissant, peut-il être Dieu ?
Si la nature se meut elle-même enfin, à quoi sert le moteur ?
Et si le moteur agit sur la matière en la mouvant, comment n'est-il pas matière lui-même ?
Pouvez-vous concevoir l'effet de l'esprit sur la matière, et la matière recevant le mouvement de l'esprit qui lui-même n'a point de mouvement ?
Examinez un instant, de sang-froid, toutes les qualités ridicules et contradictoires dont les fabricateurs de cette exécrable chimère sont obligés de la revêtir ;
vérifiez comme elles se détruisent, comme elles s'absorbent mutuellement, et vous reconnaîtrez que ce fantôme déifique, né de la crainte des uns et de l'ignorance de tous, n'est qu'une platitude révoltante,
qui ne mérite de nous ni un instant de foi, ni une minute d'examen ;
une extravagance pitoyable qui répugne à l'esprit, qui révolte le caser, et qui n'a dû sortir des ténèbres que pour y rentrer à jamais. »

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Commentaires
I
Ayé, je l'ai lu!<br /> Bon, en effet, je suis assez d'accord avec tout ce qu'il dit le monsieur...<br /> Surtout avec le fait qu'il y'a autant de dieu que d'individu.<br /> Dans tous les cas, il n'y a rien de plus bete que d'imposer son dieu aux autres...<br /> Je m'arrete là^^
A
Quand on lit certains passages de Sade, comme celui-ci, on comprend bien que ce n'est pas tant l'aspect "sexe libre et sodomie" qui était puni lorsqu'on le mettait en prison, mais bel et bien son athéisme profond.<br /> <br /> Il y a une conception assez bouddhiste au fond, dans ses descriptions, moi j'y retrouve un passage de Tezuka dans Phénix par exemple.<br /> <br /> Déjà quand j'avais lu Les 120 journées de Sodome, j'avais été assez marquée de constater à quel point Sade avait en fait été précuseur de Freud.<br /> Même si, pour notre grand malheur, ce bouquin est resté inachevé et à l'état de plan pour les trois dernières parties, on pouvait fort bien y discerner le schéma de l'évolution sexuelle selon Freud, stade sadique-anal, buccal, génital, la pulsion de mort etc.<br /> <br /> Sauf que Freud l'a mis dans un langage difficile d'accès et plein de mots savants.<br /> Sade le dit en langue du 18ème.<br /> Bon, je peux comprendre que ce soit un peu difficile à lire pour certains, mais, personnellemnt, je kiffe grave cette langue.<br /> J'trouve ça beau, certes un peu alambiqué parfois, mais qu'est-ce que j'aimerais, moi, que cette forme de français soit réhabilité...<br /> <br /> Bref, ici, je trouve aussi des sortes de prémices à un autre bouquin de Freud que j'ai lu quand j'avais 15 ans et intitulé "L'Avenir d'une illusion".<br /> Freud y expose le même genre de théorie que Sade qui identifie la foi monothéïste à une forme d'étiologie.<br /> Mais après, il le fait aussi d'un point de vue purement psychanalytique que je ne retrouve pas encore chez Sade (en gros, Dieu serait une entité omnipotente et omnisciente qu'imaginent les humains et à laquelle ils se rattachent lorsqu'ils s'aperçoivent que leurs parents ne le sont pas).<br /> <br /> Dans le comportement des gens que je connais vis à vis de la religion, j'avoue que je vois beaucoup d'élément allant dans ce sens...
Pouillyland
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